La "banalité" du 49-3
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Elisabeth Borne dégaine – oh ! Surprise ! – le 49-3. Et il faut en prévoir une dizaine pour passer la loi de finance. Au nom de l’impérieuse nécessité de disposer d’une loi budgétaire. Un scandale répété à chaque fois qu’un gouvernement n’a pas de majorité à l’Assemblée. Alors, Banal Song ? A voir...
Finies
les illusions. Finis les commentaires candides : finalement,
notre Constitution permettrait un régime parlementaire, qui ne
fonctionne pas si mal. J’étais de ceux qui soutenaient que les
législatives peuvent renverser un rapport de force établi aux
présidentielles. Mais croire que la 5e République permet un régime
délibératif entre groupes équilibrées à l’Assemblée, c’est bien de
la naïveté. Tester un régime parlementaire avant de changer notre
Constitution, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Puisque, on
le voit bien, elle ne le permet pas.
Les jeux étaient faits le 14 octobre, lorsque l’Assemblée a pris
des décisions contraires aux avis d’Elisabeth Borne et Bruno
Lemaire, sur la taxation du Capital. C’était une victoire, mais on
savait dès lors qu’elle serait balayée par le 49-3. Ce sera chose
faite, sauf si – issue improbable – le gouvernement est renversé.
Banal Song, entend-on ici ou là. Qu’attendre d’un
gouvernement qui n’a pas de majorité et qui veut tout de même
gouverner ? Et puis, il ne passe pas en force, puisqu’il peut
toujours être renversé. Quelle mauvaise foi ! Trouver une
majorité contre un avis du gouvernement, et en trouver une pour le
renverser, ce n’est pas la même chanson, et tout le monde le sait.
Cela ne légitime pas pour autant ce qu’il se passe.
Pire, tous les 49-3 ne se ressemblent pas. Que vont révéler
ceux-ci sur la Macronie 2.0 ? C’est une chose de dégainer le
49-3 pour se sortir de stratégies d’obstruction. C’en est une
autre de mettre fin à une série d’amendements contraires aux avis
du gouvernement. Et c’en est encore une autre d’user de cette arme
pour balayer des décisions déjà prises par les députés. Car c’est
bien de cela qu’il s’agit cette fois : non pas contourner une
Assemblée bloquée, mais contourner une Assemblée, point. Finie la
taxation des superprofits ! Fini le rétablissement de l’exit
tax ! Balayées, ces décisions collectives soutenues par
des majorités sans appel. Un « coup d’État permanent »,
disait celui qui a le plus longtemps profité des largesses de la
5e République…
Alors que faire ? Le 14 octobre, Bruno Lemaire se félicitait
de la « qualité des débats » à l’assemblée, et Gabriel
Attal s’en remettait à sa « sagesse ». Aujourd’hui, une
fois passées la marche du 16 octobre et la grève du 18, la chanson
est tout autre. Même pas peur de la motion de censure et de
l’opinion publique ! « Les Français se diront juste
qu’un budget a été voté et que l’exécutif ne s’en est pas trop mal
tiré », entend-on au gouvernement. Voté ?! « Le
premier est le plus dur. Après cela, le 49-3 sera quasiment
banalisé », complète une députée Renaissance (Mediapart,
19 octobre). Si d’aventure on n’avait pas bien compris.
Après l’ère des députés godillots viendrait l’ère des citoyens
godillots ? Le voilà leur monde d’après ? « La
raison du plus fort est toujours la meilleure », disait le
loup à l’agneau. Toute la question est là maintenant :
sommes-nous des agneaux ? C’est la seule incertitude que
laisse la Constitution, pour ne pas « banaliser » en
France un régime présidentiel pur et dur.
Arnaud Milanese