Comment un contrôle sanitaire a-t-il pu déboucher
sur la mort d’un éleveur, abattu par les gendarmes
en 2017 ? Décryptant les rouages de cette tragédie,
ce documentaire plonge dans la complexité d’un monde
agricole en détresse.
Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze, éleveur bovin de 37
ans, est abattu par les gendarmes au terme d’une
cavale de neuf jours. En conflit avec les services
de l’État, l’exploitant bio, porte-parole de la
Confédération paysanne de Saône-et-Loire, s’est
soustrait à un énième contrôle sanitaire et a tenté
d’alerter, au cours de sa fuite, sur le malaise de
sa profession. "J’ai été pris de la colère du juste.
[…] Mon cas est anecdotique, mais il illustre
l’ultraréglementation qui conduit à une destruction
des paysans", dira-t-il au Journal de
Saône-et-Loire. La nouvelle de son décès fait
l’effet d’une bombe dans un monde agricole déjà
endeuillé par une vague de suicides. Comment en
est-on arrivé là ? Alors que leurs revenus dépendent
quasi exclusivement des subventions européennes –
lesquelles favorisent les grandes exploitations –,
les paysans doivent se soumettre, en contrepartie, à
des normes très strictes, plus difficiles à
respecter pour les éleveurs en plein air. Isolés,
souvent lancés dans une course à l’extension,
certains se retrouvent broyés par les dettes, la
fatigue, le stress et la dépression. D’abord épinglé
pour des retards d’identification de ses bêtes,
Jérôme Laronze s’était engagé dans un bras de fer
avec l’administration : refusant de pratiquer les
tests ADN demandés pour garantir leur traçabilité,
il avait été sanctionné par une interdiction de
vendre ses bovins. Cette immobilisation avait
entraîné une surmortalité qui devait conduire à la
saisie de son troupeau pour maltraitance animale…
Tension sourde
Pour décrypter l’engrenage tragique qui a coûté la
vie à l’éleveur, Gabrielle Culand s’est immergée
dans la campagne bourguignonne, filmant des
contrôles, la saisie d’un troupeau, et recueillant
la parole de paysans, de syndicalistes, d’agents de
l’État et de journalistes. Son documentaire capte
ainsi la tension sourde qui règne entre des paysans
acculés, humiliés, pris dans une machine
productiviste qui les pousse à bout, et une
administration déconnectée de leurs pratiques,
insensible à leurs difficultés. "La seule
intervention de l’administration, aujourd’hui, c’est
de régler le problème des bêtes mais jamais de
fabriquer un soutien quelconque à l’éleveur qui est
en train de perdre pied", estime Yannick Ogor, un
confrère, auteur du livre Le paysan impossible,
qui dénonce les "mécanismes d’écrasement historiques
de la paysannerie" contre lesquels luttait Jérôme
Laronze.
Mediapart - 27 mai 2022 -
Nicolas Cheviron
Éleveur
tué par un gendarme: « Les juges ne veulent pas
faire éclater la vérité »
Cinq ans après la mort de Jérôme Laronze, abattu de
plusieurs balles le 20 mai 2017 par un gendarme dans
des circonstances controversées, les proches et amis
du paysan bourguignon expriment leur désarroi face à
la lenteur de la justice et leur crainte qu’elle
renonce à juger l’auteur des tirs.
Marie-Pierre Laronze: « Malgré toutes nos demandes
d’actes, l’instruction n’avance pas. On voit que les
juges ne veulent pas se saisir du dossier, qu’ils ne
veulent pas faire éclater la vérité judiciaire »
Me Chauviré: « Nous sommes confrontés à une inertie
totale. » « Le juge n’exploite pas les
procès-verbaux que les gendarmes enquêteurs lui
adressent. Il n’en fait strictement rien, ce qui
nous oblige à reprendre chaque pièce du dossier. Et
les détails qui ne concordent pas sont nombreux.
C’est un travail monstrueux » qui ne devrait pas
incomber à la partie civile, estime-t-il.
Me Chauviré: « Notre dernière audience à Dijon nous
a très clairement laissés entrevoir que l’intention
de la justice était qu’il n’y ait pas de procès,
qu’on se dirige vers un non-lieu. »
Un
gendarme a tué un paysan, la justice traîne les
pieds
Samedi 21 mai, la famille de Jérôme Laronze
commémore la mort de ce paysan tué par un gendarme
il y a cinq ans. La justice renâcle à établir la
vérité. Reporterre apporte des éléments nouveaux
pour comprendre ce qui s’est passé. C’était il y a
cinq ans dans un chemin de terre de Sailly, en
Saône-et-Loire. (...)
La famille conteste la légitime défense
« Dès le départ, on nous a donné des informations
contradictoires, et on nous a tenus éloignés du
dossier », dénonce Marie-Pierre Laronze, sœur aînée
de Jérôme Laronze. « Tous les actes d’enquête
importants ont été faits en mai et juin [2017], et
nous n’avons eu accès au dossier que fin août, soit
trois mois plus tard. » Cinq longues années après,
l’enquête est toujours en cours. Et bâclée,
estime-t-elle : « C’est un parcours du combattant.
Nous sommes face à une justice qui se cache. Les
seuls actes demandés par le juge d’instruction
visent à renforcer la présomption d’innocence du
gendarme. » « C’est le seul dossier où je me
retrouve à travailler plus comme partie civile que
quand je suis en défense », constate maître Julien
Chauviré, avocat de la famille Laronze.
Habituellement, c’est l’accusé, qui risque une
condamnation, qui déploie le plus d’efforts pour
tenter de prouver son innocence. (...)
« On a des éléments tangibles, objectifs, et la
justice refuse d’instruire. Cela pose un problème de
confiance en l’institution »
« Peut-on parler d’instruction neutre et impartiale
? »
Reporterre - 7 juillet
2019 - M. Astier
Jérôme
Laronze, paysan mort pour avoir dit non à
l’agriculture industrielle
L’éleveur Jérôme Laronze a été tué de trois balles
tirées par un gendarme en mai 2017. Il fuyait les
représentants d’une administration au service, selon
lui, de l’industrialisation de l’agriculture.
Enquête. (...)
« Il était atypique, il dérangeait. »
Jérôme Laronze est né en 1980 et a presque toujours
vécu dans la ferme exploitée par sa famille depuis
le XIXe siècle. Petit dernier, il était le seul fils
après quatre grandes sœurs. Voulait-il vraiment
reprendre l’exploitation familiale ? Il aurait pu
être bien autre chose que paysan, s’accordent à dire
ceux qui l’ont connu. Ses sœurs, qui ont toutes
suivi des études supérieures, ne voulaient pas qu’il
se sente obligé. « Mais, dans le milieu agricole,
beaucoup de choses sont implicites. En même temps,
un travail indépendant, proche de la nature, lié à
l’alimentation, c’était une vocation pour lui »,
avance Martine. « Peut-être pas dans ce contexte. »
Esprit libre, Jérôme Laronze n’a pas suivi le modèle
classique des exploitations agricoles du coin. (...)
Fort de son aisance orale, Jérôme exposait souvent
ses idées en public, comme lors d’une conférence
gesticulée à l’occasion de la fête paysanne annuelle
du syndicat d’août 2015. « N’allez pas croire que
l’objectif de l’industrie alimentaire est de nourrir
les gens. C’est le profit », y dénonçait-il. « Ici,
les autres éleveurs riaient de ses conférences,
témoigne un proche. Il était atypique, il
dérangeait. » (...)
« Sa mort est plus un problème politique qu’un
problème d’éleveur. On l’a fait taire parce qu’il
avait une grande gueule. » (...)
La
préfecture, sollicitée par Reporterre, ne répond pas
en raison de l’instruction judiciaire en cours. Aux
yeux de la famille, la justice semble bien lente à
rechercher la vérité et les responsabilités.
L’«
affaire Jérôme Laronze » : le parcours tragique d’un
éleveur charolais déterminé à sortir du « circuit »
Florence Aubenas, grande reporter au « Monde »,
retrace la vie d’un jeune éleveur bio de
Saône-et-Loire tué lors d’une intervention de la
gendarmerie, en mai 2017, à la suite de divers
contrôles sur son exploitation. Un drame qui a
profondément marqué ce coin de Bourgogne.
Qui est ce type ? D’où sort-il ? L’autre jour, il a
fait sensation dans un cinéma à Mâcon, en
Saône-et-Loire, lors d’un débat public sur l’élevage
bovin, une spécialité de la région. C’est un grand
blond, la trentaine, qui semblait remplir la salle à
lui tout seul avec ses mots, sa carrure, son
charisme. Dans sa manière de dénoncer l’agriculture
industrielle, on aurait cru entendre un militant de
la Confédération paysanne. Pourtant, personne ne l’a
jamais vu au syndicat, pas plus que dans le petit
milieu alternatif local, qui organisait le débat ce
jour-là, quelques centaines de citoyens qui se
croisent au comité Attac, à la cagnotte pour un
paysan-boulanger ou aux actions d’Alternatiba, «
mouvement pour le climat et la justice sociale ».
Lui se présente comme un éleveur bio, 130 bêtes du
côté de Cluny. On est en mai 2014. Aussitôt, la
Confédération confie une mission à Agnès Vaillant,
permanente pour le département : retrouver le grand
blond. Son nom est Jérôme Laronze, il vit à Trivy,
270 habitants et quatre fois plus de vaches.