Justice et Vérité pour Jérôme Laronze

Cinq ans après la mort du syndicaliste de la confédération paysanne, et la justice n'a toujours pas rendu son verdict.






JUSTICE ET VÉRITÉ POUR JÉRÔME LARONZE

Cinq ans après la mort du syndicaliste de la confédération paysanne, et la justice n'a toujours pas rendu son verdict.







  Arte - 20 juin 2022 - Gabrielle Culand
 

Sacrifice paysan

Comment un contrôle sanitaire a-t-il pu déboucher sur la mort d’un éleveur, abattu par les gendarmes en 2017 ? Décryptant les rouages de cette tragédie, ce documentaire plonge dans la complexité d’un monde agricole en détresse.

Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze, éleveur bovin de 37 ans, est abattu par les gendarmes au terme d’une cavale de neuf jours. En conflit avec les services de l’État, l’exploitant bio, porte-parole de la Confédération paysanne de Saône-et-Loire, s’est soustrait à un énième contrôle sanitaire et a tenté d’alerter, au cours de sa fuite, sur le malaise de sa profession. "J’ai été pris de la colère du juste. […] Mon cas est anecdotique, mais il illustre l’ultraréglementation qui conduit à une destruction des paysans", dira-t-il au Journal de Saône-et-Loire. La nouvelle de son décès fait l’effet d’une bombe dans un monde agricole déjà endeuillé par une vague de suicides. Comment en est-on arrivé là ? Alors que leurs revenus dépendent quasi exclusivement des subventions européennes – lesquelles favorisent les grandes exploitations –, les paysans doivent se soumettre, en contrepartie, à des normes très strictes, plus difficiles à respecter pour les éleveurs en plein air. Isolés, souvent lancés dans une course à l’extension, certains se retrouvent broyés par les dettes, la fatigue, le stress et la dépression. D’abord épinglé pour des retards d’identification de ses bêtes, Jérôme Laronze s’était engagé dans un bras de fer avec l’administration : refusant de pratiquer les tests ADN demandés pour garantir leur traçabilité, il avait été sanctionné par une interdiction de vendre ses bovins. Cette immobilisation avait entraîné une surmortalité qui devait conduire à la saisie de son troupeau pour maltraitance animale…

Tension sourde

Pour décrypter l’engrenage tragique qui a coûté la vie à l’éleveur, Gabrielle Culand s’est immergée dans la campagne bourguignonne, filmant des contrôles, la saisie d’un troupeau, et recueillant la parole de paysans, de syndicalistes, d’agents de l’État et de journalistes. Son documentaire capte ainsi la tension sourde qui règne entre des paysans acculés, humiliés, pris dans une machine productiviste qui les pousse à bout, et une administration déconnectée de leurs pratiques, insensible à leurs difficultés. "La seule intervention de l’administration, aujourd’hui, c’est de régler le problème des bêtes mais jamais de fabriquer un soutien quelconque à l’éleveur qui est en train de perdre pied", estime Yannick Ogor, un confrère, auteur du livre Le paysan impossible, qui dénonce les "mécanismes d’écrasement historiques de la paysannerie" contre lesquels luttait Jérôme Laronze.


  Mediapart - 27 mai 2022 - Nicolas Cheviron

Éleveur tué par un gendarme: « Les juges ne veulent pas faire éclater la vérité »

Cinq ans après la mort de Jérôme Laronze, abattu de plusieurs balles le 20 mai 2017 par un gendarme dans des circonstances controversées, les proches et amis du paysan bourguignon expriment leur désarroi face à la lenteur de la justice et leur crainte qu’elle renonce à juger l’auteur des tirs.

Marie-Pierre Laronze: « Malgré toutes nos demandes d’actes, l’instruction n’avance pas. On voit que les juges ne veulent pas se saisir du dossier, qu’ils ne veulent pas faire éclater la vérité judiciaire »

Me Chauviré: « Nous sommes confrontés à une inertie totale. » « Le juge n’exploite pas les procès-verbaux que les gendarmes enquêteurs lui adressent. Il n’en fait strictement rien, ce qui nous oblige à reprendre chaque pièce du dossier. Et les détails qui ne concordent pas sont nombreux. C’est un travail monstrueux » qui ne devrait pas incomber à la partie civile, estime-t-il.

Me Chauviré: « Notre dernière audience à Dijon nous a très clairement laissés entrevoir que l’intention de la justice était qu’il n’y ait pas de procès, qu’on se dirige vers un non-lieu. »

Voir aussi: Justice et vérité pour Jérôme Laronze (Guillaume Cayet, Mediapart, 24 juin 2018)

Voir aussi: Avis de mort par bureaucratie (Vincent Verschoore, Mediapart, 10 octobre 2018)

Voir aussi: 'Neuf mouvements pour une cavale'. Monologue itinérant autour de Jérôme Laronze (Guillaume Lasserre, Mediapart, 25 mai 2019)


  Reporterre - 21 mai 2022 - M. Astier

Un gendarme a tué un paysan, la justice traîne les pieds

Samedi 21 mai, la famille de Jérôme Laronze commémore la mort de ce paysan tué par un gendarme il y a cinq ans. La justice renâcle à établir la vérité. Reporterre apporte des éléments nouveaux pour comprendre ce qui s’est passé. C’était il y a cinq ans dans un chemin de terre de Sailly, en Saône-et-Loire. (...)

La famille conteste la légitime défense

« Dès le départ, on nous a donné des informations contradictoires, et on nous a tenus éloignés du dossier », dénonce Marie-Pierre Laronze, sœur aînée de Jérôme Laronze. « Tous les actes d’enquête importants ont été faits en mai et juin [2017], et nous n’avons eu accès au dossier que fin août, soit trois mois plus tard. » Cinq longues années après, l’enquête est toujours en cours. Et bâclée, estime-t-elle : « C’est un parcours du combattant. Nous sommes face à une justice qui se cache. Les seuls actes demandés par le juge d’instruction visent à renforcer la présomption d’innocence du gendarme. » « C’est le seul dossier où je me retrouve à travailler plus comme partie civile que quand je suis en défense », constate maître Julien Chauviré, avocat de la famille Laronze. Habituellement, c’est l’accusé, qui risque une condamnation, qui déploie le plus d’efforts pour tenter de prouver son innocence. (...)

« On a des éléments tangibles, objectifs, et la justice refuse d’instruire. Cela pose un problème de confiance en l’institution »

« Peut-on parler d’instruction neutre et impartiale ? »


  Reporterre - 7 juillet 2019 - M. Astier

Jérôme Laronze, paysan mort pour avoir dit non à l’agriculture industrielle

L’éleveur Jérôme Laronze a été tué de trois balles tirées par un gendarme en mai 2017. Il fuyait les représentants d’une administration au service, selon lui, de l’industrialisation de l’agriculture. Enquête. (...)

« Il était atypique, il dérangeait. »

Jérôme Laronze est né en 1980 et a presque toujours vécu dans la ferme exploitée par sa famille depuis le XIXe siècle. Petit dernier, il était le seul fils après quatre grandes sœurs. Voulait-il vraiment reprendre l’exploitation familiale ? Il aurait pu être bien autre chose que paysan, s’accordent à dire ceux qui l’ont connu. Ses sœurs, qui ont toutes suivi des études supérieures, ne voulaient pas qu’il se sente obligé. « Mais, dans le milieu agricole, beaucoup de choses sont implicites. En même temps, un travail indépendant, proche de la nature, lié à l’alimentation, c’était une vocation pour lui », avance Martine. « Peut-être pas dans ce contexte. »

Esprit libre, Jérôme Laronze n’a pas suivi le modèle classique des exploitations agricoles du coin. (...)

Fort de son aisance orale, Jérôme exposait souvent ses idées en public, comme lors d’une conférence gesticulée à l’occasion de la fête paysanne annuelle du syndicat d’août 2015. « N’allez pas croire que l’objectif de l’industrie alimentaire est de nourrir les gens. C’est le profit », y dénonçait-il. « Ici, les autres éleveurs riaient de ses conférences, témoigne un proche. Il était atypique, il dérangeait. » (...)

« Sa mort est plus un problème politique qu’un problème d’éleveur. On l’a fait taire parce qu’il avait une grande gueule. » (...)

La préfecture, sollicitée par Reporterre, ne répond pas en raison de l’instruction judiciaire en cours. Aux yeux de la famille, la justice semble bien lente à rechercher la vérité et les responsabilités.

Voir aussi: Paysan tué par les gendarmes : un combat pour la vérité (Marie Astier, Reporterre, 9 janvier 2019)


  Le Monde - 15 août 2021 - F. Aubenas

L’« affaire Jérôme Laronze » : le parcours tragique d’un éleveur charolais déterminé à sortir du « circuit »

Florence Aubenas, grande reporter au « Monde », retrace la vie d’un jeune éleveur bio de Saône-et-Loire tué lors d’une intervention de la gendarmerie, en mai 2017, à la suite de divers contrôles sur son exploitation. Un drame qui a profondément marqué ce coin de Bourgogne.

Qui est ce type ? D’où sort-il ? L’autre jour, il a fait sensation dans un cinéma à Mâcon, en Saône-et-Loire, lors d’un débat public sur l’élevage bovin, une spécialité de la région. C’est un grand blond, la trentaine, qui semblait remplir la salle à lui tout seul avec ses mots, sa carrure, son charisme. Dans sa manière de dénoncer l’agriculture industrielle, on aurait cru entendre un militant de la Confédération paysanne. Pourtant, personne ne l’a jamais vu au syndicat, pas plus que dans le petit milieu alternatif local, qui organisait le débat ce jour-là, quelques centaines de citoyens qui se croisent au comité Attac, à la cagnotte pour un paysan-boulanger ou aux actions d’Alternatiba, « mouvement pour le climat et la justice sociale ». Lui se présente comme un éleveur bio, 130 bêtes du côté de Cluny. On est en mai 2014. Aussitôt, la Confédération confie une mission à Agnès Vaillant, permanente pour le département : retrouver le grand blond. Son nom est Jérôme Laronze, il vit à Trivy, 270 habitants et quatre fois plus de vaches.


 

Mâcon Cluny en lutte