La couverture de la crise libanaise
Ce matin, alors que j’écoutais France Info, comme 2 millions
et demi de Français.e.s tous les matins, un sujet m’a
particulièrement interpellé : la crise au Liban.
Des épargnants libanais sont contraints de « braquer
leur propre banque » pour obtenir l’argent qu’ils y ont
déposé. Il se trouve que je connais un peu ce pays, y
comptant beaucoup d’amis. J’y ai séjourné en 2017, en
travaillant pour une association de coopération
internationale œuvrant au Liban. Pour étoffer un peu le
contexte, il faut rappeler le calvaire que vit ce peuple.
Des personnes appartenant à ce qu’on pourrait appeler la
« classe moyenne supérieure » du Liban ne peuvent
même plus acheter de viande, de médicament, de lait, d’eau,
de carburant. Le pays manque de tout. L’électricité n’est
disponible que deux heures par jour, internet encore moins.
Pour illustrer la situation, l’un de mes amis libanais me
racontait l’anecdote suivante : « il y a des usines de
production de fromage au Liban. Elles rejettent de l’eau
usée ayant servie à la fabrication du fromage. Celle-ci est
impropre à la consommation mais contient des traces de lait
visibles dans sa couleur blanchâtre. Il y a des gens qui
font la queue pour récupérer cette eau et la donner à leur
bébé car le lait infantile est devenu trop rare, et trop
cher ».
Les problèmes sont nombreux au Liban, leurs racines aussi.
Il serait difficile de les synthétiser et d’autres
spécialistes, chercheurs et médias s’en chargent beaucoup
mieux que moi.
Ce que l’on peut cependant affirmer avec un peu de certitude
sur ce pays, c’est que le Liban n’est pas un pays
socialiste. Ce n’est même pas un « welfare state »
avec une protection sociale forte. Le Liban est un pays du
capitalisme débridé, où tout s’échange et se vend. On a
d’ailleurs longtemps qualifié le Liban de « Suisse du
Moyen-Orient ». Dans cette enclave entre la Syrie et
Israël, une caste de rentiers, petit groupe de chefs de
clans parfois violents, prospère par son immense fortune,
son patrimoine foncier et financier.
Ainsi j’ai été déçu – mais pas étonné – en écoutant encore
une fois toutes ces tristes actualités concernant le Liban.
Quand il s’agit de la crise au Liban, les médias tentent de
l’expliquer tantôt par le système confessionnel, la zone
géographique agitée, la guerre civile aux cendres encore
chaudes, etc. Mais jamais, au grand jamais, le mot
capitalisme n’est prononcé. Ce système économique qui régit
les échanges, les rapports de pouvoir, les inégalités, la
position sociale des Libanais.e.s, n’existe pas. Il n’est
jamais cité comme une cause possible de tous les maux du
pays. Le capitalisme est un discret innocent dans les maux
du Liban.
Et, relevant cet angle mort dans le sujet de France Info,
j’ai repensé au Venezuela. En effet, ce pays a été l’un des
laboratoires du socialisme sud-américain du début des années
2000. Confronté – comme le Liban – à une très grave crise
financière et économique dans les années 2010, le Venezuela
n’a pas fait l’objet du même traitement médiatique. Exit les
explications géopolitiques, les conflits ethniques,
l’histoire du pays. Le socialisme était le seul et unique
responsable des malheurs du pays. Pourtant, aucune analyse
n’était faite du caractère « socialiste » - ou non
- de l’économie vénézuélienne.
La question était toute tranchée : le socialisme a démontré
son vice au Venezuela. En tout cas, le coupable c’est le
socialisme ! Le pouvoir vénézuélien est autoritaire et
corrompu ? C’est la faute du socialisme ! Le
pouvoir vénézuélien est incapable de gérer la crise
économique et monétaire ? C’est également la faute du
socialisme !
Je ne suis spécialiste d’aucun des deux pays, les
explications sont certainement multiples dans les crises qui
les touchent. Force est de constater cependant que, pour les
médias, la réponse est toute simple : le socialisme
aurait échoué au Venezuela. Sous-entendez qu’il échouera
partout. Par contre, le capitalisme n’est pas la cause de la
crise terrible du Liban, on peut continuer le « business
as usual ».
Valentin Bertron